Les semi-confinements empêchent les centres de formation canine d'œuvrer comme d'habitude. Conséquence: on sait déjà que beaucoup de jeunes "chiens Covid" nés entre 2019 et 2020 sont mal éduqués.
César gambade gaiement dans un parc lausannois. Maria, sa maîtresse, lâche alors d'une voix ferme et bien timbrée un tonitruant «Au pied!» pour que le jeune westie revienne à ses côtés. Son appel restera lettre morte, cristallisant à la fois son énervement et ses inquiétudes.
«La première vague de la pandémie m'a empêchée de faire des cours d'éducation pour chiots, déplore la trentenaire, exaspérée face à la désobéissance de son petit protégé. J'ai ensuite suivi des cours entre les deux semi-confinements, mais j'ai toujours de la peine à me faire respecter.» Cet exemple illustre bien l'étendue des dommages collatéraux causés par la pandémie sur les canidés domestiques nés entre 2019 et 2020, que certains surnomment déjà les «chiens Covid». Ceux-ci n'ont en effet pas pu bénéficier d'une éducation optimale en raison du confinement partiel, développant souvent des comportements inadéquats.
«L'an dernier, entre mars et décembre, les restrictions nous ont seulement permis de donner des cours durant deux mois, déplore Claude-François Chevalley, président et responsable de l'éducation des jeunes chiens au Cyno Club Bussigny (VD), qui fermera ses portes au moins jusqu'à la fin février. Lors des cours en petits groupes donnés en octobre et en novembre, nous avons alors constaté que beaucoup de chiens âgés de 6 mois et plus n'avaient pas pu être correctement sociabilisés. C'est d'autant plus embêtant qu'entre 6 mois et 1 an, ils passent dans une phase d'adolescence durant laquelle il est nettement moins aisé de les éduquer.»
«Très dommageable pour les chiots»
Sa consœur neuchâteloise Doris Ronsse, responsable des cours chiots à la Société cynologique de Neuchâtel, abonde: «C'est extrêmement dommageable pour les chiots, insiste-t-elle. Car si, avec un animal adulte, le maître peut toujours pallier l'arrêt des cours de dressage durant quelques semaines en appliquant ce qu'il a précédemment appris ou en ayant recours à des cours privés, toujours autorisés, il en va autrement pour les juvéniles, qui doivent rapidement être mis en groupes pour se socialiser, puisque la fenêtre dite de sociabilisation est très limitée dans le temps.» Au-delà de 4 mois, cette capacité est en effet nettement plus difficile à développer.
Lors des classes chiots, ils apprennent à interagir, jouant entre eux et considérant leurs congénères comme des amis. Ces cours permettent en outre à l'éducateur de détecter les signes annonciateurs de ce qui pourrait devenir un problème important (peur, anxiété, hyperactivité) et ainsi conseiller les propriétaires afin qu'ils puissent agir en conséquence. «De plus, il s'agit là d'une vraie source d'information pour ceux qui n'ont jamais eu de chien.»
Autant d'exercices rendus impossibles par les mesures sanitaires prises par le gouvernement.«Durant le semi-confinement, nous n'avons été autorisés à donner des cours qu'à quatre binômes chiens/ maîtres en forêt, mais pas dans les enclos extérieurs des centres canins, poursuit elle. Avec des chiots qui ne répondent pas encore aux ordres, c'est trop compliqué d'évoluer dans un milieu ouvert.» Les «chiens Covid», qui sont de toutes races, se transforment donc parfois en petits «rebelles» poilus en puissance, prêts à braver de nombreux interdits.
Ces carences éducatives peuvent se traduire par divers comportements inadaptés: aboiements intempestifs, manque de réactivité face aux ordres donnés, surexcitation, mordillements, problèmes d'hyper attachement, etc. «Sachant que, dans la société actuelle, la tolérance à l'égard des chiens est très limitée, c'est fort préjudiciable de ne pas avoir la possibilité de donner des cours pour chiots», ajoute la Neuchâteloise, qui est également éducatrice spécialisée en troubles du comportement. Claude-François Chevalley met également le doigt sur un autre facteur pénalisant: le calme inaccoutumé des villes induit par les se mi -confinements «Pour habituer les chiens à l'environnement urbain, généralement très animé, les propriétaires devraient le leur faire découvrir aux heures les plus fréquentées conseille-t-il.
«Sachant que, dans la société actuelle, la tolérance à l'égard des chiens est très limitée, c'est fort préjudiciable de ne pas avoir la possibilité de donner des cours pour chiots»
Doris Ronsse, responsable des cours chiots à la Société Cynologique de Neuchâtel
Doit-on pour autant parler d'une génération de chiens dont l'éducation a été sacrifiée sur l'autel de la pandémie? Les spécialistes ne vont pas jusque-là, mais tirent quand même la sonnette d'alarme. «Si un chien n'est pas correctement éduqué, on risque d'avoir de la peine à rattraper le coup, note Claude-François Chevalley. C'est particulièrement vrai quand le maître n'a jamais eu un tel animal, car il ne connaît pas forcément les bons gestes à avoir et les processus à mettre en place. La capacité des canidés à combler les lacunes dépendra aussi de leur âge, de leur caractère et de leur intelligence. Les conséquences de ces carences éducatives peuvent d'ailleurs être particulièrement désastreuses avec des races soumises à autorisation, comme les pitbulls ou les rottweilers.»
Rencontrer d'autres chiens, un impératif
Dès lors, que faire si l'on vient d'acquérir un chiot? «Essayer de rencontrer des connaissances qui ont des chiens, préconise Doris Ronsse. Idéalement des chiots, mais aussi des adultes, pour autant qu'ils ne soient pas agressifs, et les laisser interagir.» Stéphane Crausaz, responsable de la communication de la Société vaudoise pour la protection des animaux (SVPA), recommande aussi «de se plonger dans la littérature dédiée à la psychologie des chiens et à leur éducation, qui est abondante. Certains éducateurs ont aussi des chaînes vidéo et proposent des cours en ligne, gratuits ou payants.»
Le masque trouble la communication
Ne craint-il pas un afflux massif dans les refuges de ces «Chiens Covid», que leurs maîtres n'arrivent peut-être plus à maîtriser ou à supporter? «l n'en a heureusement pas été ainsi après le premier semi confinement, répond-il. Cela dit, nous ne sommes pas à l'abri d'une arrivée importante de chiens dans quelques mois. J'y vois deux autres causes possibles: la première résulte d'une adoption sur un coup de tête, car la personne s'ennuie et a du temps à disposition, mais ne saura plus
si les chiens reconnaissent d'abord les personnes qui les entourent grâce à leur voix ou à leur odeur, «les postures et les mimiques ont également une place importante dans leur communication, explique Doris Ronsse, responsable des cours chiots à la Société cynologique de Neuchâtel. Cette aptitude à la reconnaissance faciale est aujourd'hui entravée par les masques que nous portons, ce qui n'est pas sans poser de problèmes.»
Fini, en effet, le temps où on leur faisait de grands sourires dans la rue. De fait, cela perturbe un peu leur manière de décrypter nos émotions. Pour que les chiens se familiarisent mieux avec les masques, certains comportementalistes encouragent les éleveurs à en porter-de toutes les formes et de toutes les couleurs-en leur présence et les propriétaires de canidés à en faire autant à la maison. «En matière de dressage, il s'agit d'une difficulté supplémentaire, concède volontiers Claude-François Chevalley, président et responsable de l'éducation des jeunes chiens au Cyno Club Bussigny (VD). La distance sociale n'est pas non plus idéale, car nous ne pouvons plus nous approcher comme avant des maîtres pour leur montrer les bons gestes à avoir. Nous devons également porter des gants, afin d'éviter que les chiens n'ingurgitent du gel hydro-alcoolique à chaque fois que nous leur donnons une récompense pour les féliciter.» Des mesures qui compliquent la vie d'éducateur canin, quand toutefois celle-ci peut se déployer !
Article papier Par Frédéric Rein, journal 24Heures Suisse du 07 février 2021.
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