Faut-il interdire les feux d’artifice en Suisse?

Le dresseur de chien veut la fin des feux d’artifice

Roman Huber est à l'origine de l'initiative «Pour une limitation des feux d'artifice». But: interdire la vente des engins pyrotechniques «bruyants». Nicole Frohlich

Une initiative va tenter d'interdire la vente et l'usage de pièces d'artifice, à quelques exceptions près. Son auteur nous explique pourquoi la Suisse en profiterait.
GABRIEL SASSOON

À l'approche du 1er Août, alors que d'autres font le stock de fusées, Roman Huber prépare ses valises. Le ciel illuminé par un bouquet de feux d'artifice? Peu pour lui. Depuis des années, il passe la fête nationale loin de la Suisse, à l'abri des détonations. L'ancien rédacteur en chef du «Badener Tagblatt» dirige avec son épouse une école de dressage pour chiens dans la campagne argovienne. À 67 ans, il risque bien de se faire un nom dans tout le pays comme celui qui a allumé la mèche. Roman Huber est à l'origine de l'initiative «Pour une limitation des feux d’artifice». Un texte qui veut interdire la vente et l'usage de feux d'artifice «bruyants»·.

Faut-il interdire les feux d'artifice en Suisse?

La récolte de signatures vient d'être lancée. Le chemin est encore long, mais si la proposition est acceptée, tirer des fusées dans son jardin le 1er août, le 31 décembre ou lors de toute autre occasion sera de l'histoire ancienne.

Exception «suprarégionales»

Les amateurs d'engins pyrotechniques auront toujours le droit de se rabattre sur les quelques engins discrets, type Vésuve ou allumettes bengales. Ils pourront également admirer les spectacles pyrotechniques organisés pour des «événements d'importance suprarégionale». L'initiative prévoit en effet que les cantons peuvent accorder des autorisations exceptionnelles pour de telles manifestations.

Le texte ne définit pas ce qui rentre dans cette catégorie, mais les initiants donnent comme exemple des anniversaires de canton ou la Fête des vignerons. Et les traditionnels feux du 1erAoût ou du 31 décembre? Ils l'assurent, une Commune pourra toujours, elle aussi, organiser sur demande un spectacle pyrotechnique pour la fête nationale ou Nouvel-An. Ce régime d'exception ne rassure en rien les artificiers suisses, soumis à une pression toujours croissante. Un peu partout, les velléités se multiplient pour clouer au sol ces engins accusés de polluer et de stresser les animaux. Suivant la tendance, plusieurs coopératives Migros ont arrêté de les proposer dans leurs assortiments.

Chien traumatisé par des explosions de pétards

Comme un bruit de bombe

Cette année, le sort des réfugiés ukrainiens est venu s'ajouter aux préoccupations.
Redoutant le traumatisme que provoqueraient les détonations pour les réfugiés ukrainiens, une élue communale de Reinach (BL), elle-même ancienne réfugiée de guerre, a vainement plaidé pour l'interdiction des feux du 1er Août à venir.
Comme à Bâle-Campagne, les détracteurs de pièces d'artifice ont de la peine à se faire entendre.

En 2019, l'Exécutif de Lausanne n'a pas voulu remettre en question «une tradition partagée dans tout le pays et à laquelle elle est convaincue que la population est très attachée».

«C’est une question d’empathie. Le plaisir de quelques ’uns ne peut pas se faire au détriment des autres.»

Roman Huber à l’origine de l’initiative

Quatre années auparavant, les votantes et votants argoviens avaient balayé une initiative cantonale demandant de restreindre strictement leur usage. Mais en 2021, trois-quarts de la population de Davos (GR) plébiscitait un tour de vis similaire à celui proposé dans l'initiative. Dans les Alpes grisonnes, d'autres localités limitent strictement la pratique, comme Arosa, soucieuse du bien -être des pensionnaires de son refuge pour ours. Un ciel libre de pyrotechnie lors du 1er Août ou du Nouvel An: le Canton en fait désormais un argument touristique et répertorie les communes où fuir les tirs.

Une tradition «dépassée»?

Roman Huber se dit persuadé que le tourisme national sortirait gagnant d'une mise en sourdine des feux. «Si une partie seulement des propriétaires de chiens, des personnes sensibles au bruit qui désertent le pays le 1er Août restaient en Suisse, l'éconon1ie tout entière en profiterait.»

Les initiant pensent que les ventes se reporteront sur les engins non bruyants, permettant de compenser le manque à gagner. «Certains revendeurs souffriront, mais ils doivent se rendre compte de la nécessité de se réinventer. Le feu d'artifice qui cause du bruit, c'est dépassé.»

L’Argovien, qui a grandi en bordure de forêt, raconte avoir été sensibilisé dès l’adolescence à l’impact des feux d’artifices sur la faune et la flore. Mais cette initiative trouve sa source dans une promenade avec ses chiens, en décembre 2020.

On est à quelques jours du réveillon et déjà des adeptes de pétards s'empressent de faire détonner leurs acquisitions.

«Ça pétait de partout!»

Roman Huber pousse un coup de gueule sur les réseaux sociaux. Des centaines de partage plus tard, le voilà convaincu de l'importance de museler les tireurs intempestifs.

Le problème aux yeux des initiants, ce sont bien les particuliers. «Le grands spectacles officiels ne me plaisent pas non plus, mais au moins Ils sont limites dans le temps. Ça dure quinze minutes puis à 22h30 c'est fini jusqu'à l'année prochaine. Les feux lancés par des privés, eux, sont imprévisibles et Interminables.»

Dans les jours qui précèdent et suivent la fête nationale, lors d'anniversaires, de mariages, de soirées d'entreprise: selon le comité, les détonations ne se font pas entendre que le 1er Août et le 31 décembre, mais «jusqu'à 30 soirs par an selon la région d'habitation».

Si le projet vise principalement les feux d'artifice lancés par des privés, Roman Huber espère qu'un oui dans les urnes incitera les communes à chercher des moyens plus respectueux de célébrer le 1er Août. «C'est une question d'empathie. Le plaisir de quelques-uns ne peut pas se faire au détriment des autres.» À son avis, les spectacles de lumière, de laser ou de drones «qui sont tout aussi beaux» vont gagner en importance.

Roman Huber sait que le débat s'annonce passionné. Les premières amabilités anonymes sont déjà tombées dans sa boîte aux lettres. Mais il se lance avec le soutien de nombreuses associations de protection de l'environnement et des animaux.

La Fondation Franz Weber, Pro Natura, la Protection suisse des animaux, Greenpeace, le Zoo de Zurich ou encore la Ligue suisse contre le bruit sont favorables au projet. Tout comme «Monsieur Coronavirus», Daniel Koch, ambassadeur du chien 2021-2022. «Le problème ce sont les bruits inattendus.

C'est ça qui effraie les animaux. Ce n'est pas un grand sacrifice que de limiter l'usage des feux d'artifice bruyants», dit-il. Roman Huber conclut: «La Suisse se dote de normes toujours plus sévères, que ce soit contre le bruit la pollution des voitures ou pour le climat. Mais les nuisances causées par les feux d'artifice, elles, peuvent perdurer sans autre. Ça n'a aucun sens.»

Que veut l’initiative

S’il faut interdire les feux d'artifice «qui causent du bruit», c'est pour protéger les personnes, les animaux et l'environnement, plaide le comité de l'initiative «Pour une limitation des feux».

Les détonations soumettent les enfants en bas âge et les personnes souffrant de troubles anxieux et de traumatismes à un stress «massif», argumente-t-il.

Elles provoquent aussi la panique chez les animaux domestiques, d'élevage et sauvages, soulignent les partisans d'une limitation des pétarades. «Pendant les festivités du Nouvel-An par exemple, il n'est pas rare que des bêtes sauvages soient tirées de leur hibernation par le bruit, ce qui a souvent des conséquences fatales pour ces individus», affirme Vera Weber, présidente de la fondation Franz Weber.

Enfin, l'argument environnemental: les feux d'artifice libèrent des poussières fines et des substances toxiques comme des dioxines dans l'air qui se posent ensuite sur et finalement dans la terre.

En 2020, l'Office fédéral de l'environne1nent rappelait de son côté que les feux d'artifice ont des effets non désirables pour l'environnement et la santé. Les quelque 1700 tonnes utilisées chaque année en Suisse dégagent 300 tonnes de poussières fines dans l'atmosphère, ce qui représente 2% des émissions annuelles dans le pays.

Déjà fragilisé, le secteur s'inquiète

Deux ans de pandémie Covid marqués par des annulations en série ont malmené les artificiers suisses. C'est désormais l'ombre d'une initiative fédérale qui plane au-dessus de leur tête.

Alain Stucki est vice-président du Bureau suisse de coordination pour les feux d'artifice (SKF), qui réunit fabricants, grossistes et artificiers suisses. n est inquiet.

«fi faut bien comprendre que la plus grande partie des effets pyrotechniques nécessite une détonation. Les rares pièces qui ne causent pas de bruit ce sont les vésuves et des allumettes bengales. Mon entreprise aurait de la peine à survivre en ne vendant que ces produits. Si l’'initiative passe, moi et mes concurrents fermeront boutique», affirme-t-il.

À Grandson (VD), Jean-Pascal Guinand fait le même constat. La société Sugyp, qu'il dirige avec son frère, est active principalement dans l'organisation de spectacles.

Elle a traversé la crise sanitaire grâce aux aides cantonales.

«Maintenant, ça repart. On sent un gros engouement, tous nos clients sont super contents de pouvoir organiser à nouveau les feux du 1er août.

Cette reprise lui donne espoir

«L'initiative a peu de chance d'aboutir. La population suisse est très attachée aux feux d'artifice. Ce sont des engins qui font du bruit, mais les orages aussi.»

Le régime d'exception prévu pour les événements d'importance suprarégionale ne soulage en rien les professionnels de la pyrotechnie. «Les artificiers suisses vivent principalement de la vente de feux d'artifice, explique Alain Stucki. Les gros spectacles, qui rapportent, se comptent sur les doigts d'une main.»

Pour son entreprise, Stucki AG, à Wil (SG), ce sont les batteries qui se vendent le mieux. «En cas d'interdiction, il y aura peut-être encore des grands feux, mais ce seront des entreprises étrangères qui les organiseront, car tous les Suisses auront dû arrêter.»

Pourtant, Alain Stucki est bien conscient du problème que posent les tireurs intempestifs de pétards. «Je comprends le désarroi de certains, comme les propriétaires de chiens. Notre société ne veut pas non plus que ça pète toute l'année. Il faut du respect et de la considération. Mais il faut aussi un peu de tolérance. Tirer deux fois par an, ça doit être possible.»

Source web de l'article "Le dresseur de chiens veut la fin des feux d'artifice": Journal Le Matin Dimanche du 19 juin 2022.

Ma page Facebook: École d'éducation canine Messerknecht.